Faut-il amortir, ou déprécier, son fonds de commerce ?

COMPTABILITÉ / GESTION
Outils
TAILLE DU TEXTE

La crise du Covid-19 aura, pour les commerces et notamment les cafés-hôtels-restaurants, un impact sur la valeur des fonds de commerce. Amortir ? Déprécier ? Ne rien faire ? Entre choix, obligations et décisions cornéliennes, Rémi Gourrin, Associé Walter France, conseille les dirigeants.

Depuis les exercices comptables ouverts à compter du 1er janvier 2016, il est possible d'amortir les fonds de commerce. Cette possibilité peut paraître ubuesque, quand on sait qu'amortir signifie une perte de valeur graduelle et irréversible de cet actif, alors que celui-ci représente justement le patrimoine des activités commerçantes.

Or il est attendu d'un fonds, comme tout patrimoine, plutôt une augmentation de valeur au fil des ans, par la progression du chiffre d'affaires, le développement de l'activité, l'augmentation de la notoriété et de la rentabilité...

Amortir son fonds de commerce s'il a une durée de vie limitée

Au-delà de cette première réaction, le chef d'entreprise doit sérieusement se poser la question. En effet, dans certaines situations, le fonds de commerce peut avoir une durée de vie limitée. Cela peut être le cas par exemple lorsque le dirigeant a un bail sur le domaine public, sans garantie de prolongation. Comptablement, à partir du moment où l'on a un « indice » selon lequel le fonds de commerce pourrait avoir une durée de vie limitée, il faut l'amortir. Soit on connaît cette durée de vie et on amortit sur cette durée, soit on ne la connaît pas et dans ce cas l'entreprise peut amortir sur une durée forfaitaire de dix ans.

Cette faculté d'amortir est une possibilité, pas une obligation, pour les petites entreprises qui réalisent moins de douze millions d'euros de chiffre d'affaires et dont le total du bilan s'élève à moins de six millions.

Pas de déduction fiscale, donc quel intérêt d'amortir ?

Pour un dirigeant, amortir équivaut à pouvoir déduire fiscalement. Or, dans le cas des fonds de commerce, l'éventuel amortissement n'ouvre pas droit à une déduction fiscale. Dans le même temps, quand un dirigeant amortit son fonds de commerce, il dégrade son résultat, ce qui peut conduire à déprécier ses fonds propres. Dans ce contexte, quel intérêt d'amortir ?

Tout simplement pour que le bilan reflète la valeur réelle de l'entreprise. Si le dirigeant affiche au bilan une valeur de 400 000 euros alors que dans les faits son fonds de commerce vaut zéro, que montre-t-il à ses partenaires, à ses banquiers ? Une image faussée.

Notre conseil : si le dirigeant sait que son fonds de commerce a une durée de vie limitée (s'il a un « indice »), il doit l'amortir, alors même qu'il ne bénéficiera d'aucune déduction fiscale.

La dépréciation s'apprécie à plus court terme

Qu'en est-il de la dépréciation ? S'il existe un indice selon lequel le fonds de commerce a perdu de sa valeur, celui-ci doit, a priori, être déprécié.

Prenons l'exemple d'un restaurant en bordure d'une route. Des travaux dévient cette route. Automatiquement, le restaurant aura moins de passage, le chiffre d'affaires baissera, le fonds perd de sa valeur.

C'est bien ce qui risque de se passer avec la crise du Covid-19 : même pendant les périodes hors fermeture administrative, compte tenu du contexte ambiant, les clients ne reviennent pas en masse, les différentes contraintes d'espacement et autres obligent les chefs d'entreprise à réduire le nombre de passages ou de couverts, avec des répercussions plus ou moins graves sur le chiffre d'affaires.

Dans ce cas, est-ce opportun de déprécier son fonds de commerce ?

Respecter la transparence de la vision économique

L'approche est la même que pour l'amortissement : une dépréciation n'est pas déductible fiscalement sans le respect de conditions cumulatives parfois strictes. Ces conditions doivent faire l'objet d'une analyse particulière au cours de cette deuxième période de fermeture.

Pour ouvrir droit à une déduction fiscalement admise, une provision pour dépréciation d'un fonds doit :

  • être effective au cours de l'exercice considéré et avoir des effets financiers appréciables tant sur le chiffre d'affaires que sur celui de la rentabilité ;
  • affecter l'ensemble du fonds de commerce : éléments incorporels (droit au bail, notoriété...) et corporels (matériel) tout en conservant un caractère « subi », c'est-à-dire indépendant d'une action volontaire ou sur laquelle le chef d'entreprise dispose d'un pouvoir d'action. En l'occurrence, la baisse du nombre de jours d'ouverture est clairement subie.

Ces conditions peuvent-elles s'appliquer à la situation actuelle de pandémie ? Certainement. En effet, la fermeture des commerces aura peut-être créé, au-delà des périodes de fermeture, un mouvement de peur et de baisse de fréquentation. Si cela venait à être avéré, les patrons se situent probablement dans les conditions de déduction édictées ci-avant : un effet réel sur la rentabilité des établissements, affectant l'ensemble des éléments du fonds.

Donc quel intérêt de déprécier ? A la fois par souci de transparence économique et pour constater le caractère actuel d'une baisse de valeur sans caractère irréversible. En effet, cette baisse ne sera pas obligatoirement irréversible si le commerce aura réussi à compenser les périodes de fermeture lors des périodes d'ouverture et en développant la vente en ligne... Ou si le passage reprend devant le restaurant malgré la déviation...

Le raisonnement est simple : est-ce qu'on peut déprécier ? Oui. Est-ce qu'on doit le faire ? Oui. Ce n'est pas une question de stratégie, mais une simple obligation de transparence.

L'impact n'est pas neutre. C'est en s'appuyant sur le bilan que des institutionnels, des banquiers vont prêter de l'argent à une entreprise. Si les comptes ne reflètent pas la réalité économique du fonds de commerce, cela signifie qu'ils vont prêter de l'argent « sur du vent ». La responsabilité du dirigeant est alors lourde.

Bien différencier bilan et fiscalité

Il convient d'arrêter de penser qu'un bilan n'est établi que pour des raisons fiscales. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien que chaque année, les entreprises sortent leur bilan d'un côté, la liasse fiscale de l'autre.

Ajoutons qu'une dépréciation n'est pas définitive. Les patrons pourront tout à fait passer en 2020 une provision pour dépréciation, par exemple de 100 000 euros pour un fonds qui valait 300 000 avant la crise. Si tout se passe bien, en 2021, cette provision pourra être reprise, réintégrée dans les fonds propres et donc réintégrer la valeur du fonds à l'actif.

Produire une annexe au bilan

Actuellement les plus petites entreprises, celles qui répondent à deux des trois seuils suivants – chiffre d'affaires inférieur à 700 000 euros, total du bilan inférieur à 350 000 euros et moins de dix salariés – ne sont plus obligées de produire une annexe au bilan.

Toutefois, il est fortement recommandé de produire cette annexe dans les cas où la valeur du fonds est affectée. Cela permettra de fournir les raisons d'un amortissement ou d'une dépréciation du fonds de commerce.

Dans tous les cas, les responsables de commerce auront tout intérêt à consulter leur expert-comptable afin de prendre la bonne décision avec un seul objectif : donner une image économique réelle de leur fonds de commerce. Si les conditions sont réunies pour bénéficier d'une déduction fiscale pour impacter le résultat fiscal, tant mieux. Toutefois, l'année 2020 risque fort d'être déjà marquée par des baisses générales de bénéfices. L'impact fiscal ne se fera alors, dans certains cas, qu'au travers de reports déficitaires.

En ces périodes difficiles, les patrons doivent conserver le courage, la lucidité et l'envie nécessaires à la survie de leurs établissements.