Interview de Charif Benadada et Jean-Christophe Forestier

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benadada-forestierCapital, communication, interprofessionnalité…
Entretien croisé avec Charif Benadada, Président ANECS Paris Île-de-France et Jean-Christophe Forestier, Président CJEC Paris Île-de-France.

Selon vous, l’ouverture du capital des sociétés d’expertise comptable est-elle vécue comme une opportunité ou comme une menace par les jeunes professionnels ?

Charif Benadada : L’ouverture du capital des sociétés d’expertise comptable s’inscrit dans une démarche de libéralisation des professions réglementées, souhaitée par l’Union européenne. En effet, l’accès à la profession est beaucoup moins strict dans certains pays européens, tels que l’Angleterre, et l’Union européenne souhaite généraliser cette tendance au sein de l’Europe. Cependant, le parcours des études d’expertise comptable, et plus particulièrement le nombre d’années d’études, est différent d’un pays à l’autre. À titre d’exemple, en France, il faut huit années d’études, contre trois années en Angleterre.
Il existe donc un déséquilibre et une incohérence entre la volonté de l’Union européenne de libéraliser la profession et la difficulté au niveau des études pour devenir expert-comptable en France. L’ouverture du capital constitue un danger car d’une part, les études sont longues et seraient de ce fait moins valorisées. Et d’autre part, les jeunes experts-comptables auraient moins d’opportunités de rachat de cabinets, au profit d’autres investisseurs, ayant des moyens financiers plus importants, tels que les banques.

Jean-Christophe Forestier : L’ouverture du capital était exigée par la Commission européenne. D’autant qu’en commissariat aux comptes, il n’existait plus de règle de détention minimum. Il n’est donc plus temps de s’interroger si c’est un bien ou un mal, mais réfléchir à comment cela va influer aujourd’hui et demain sur notre exercice professionnel. De ce point de vue, certains y voient un levier de croissance, notamment externe que de trouver des investisseurs, y compris à court ou moyen terme, pour entrer au capital et renforcer ses fonds propres... Mais je ne vous cache pas que cela reste une hypothèse d’école pour un jeune qui s’installe en créant son cabinet ex nihilo !
Ce qui est primordial, c’est de ne pas y perdre son âme. Nous devons nous assurer de toujours pouvoir respecter la condition d’indépendance, pour conserver la confiance de nos clients et des parties prenantes. De ce point de vue, le garde-fou des droits de vote est essentiel. Dans ce cas de figure, il faut également que l’Ordre puisse exercer, d’une manière ou d’une autre, un contrôle pour s’assurer de cette indépendance. C’est d’ailleurs ce que propose le rapport de l’IGF, si je ne m’abuse ? Plus de flexibilité n’induit pas nécessairement moins de contrôles.

Les sociétés holding (SPFPL) pouvant détenir des parts dans des sociétés d’exercice professionnel de divers professionnels libéraux (avocats, notaires, huissiers, commissaires aux comptes, CPI, experts-comptables) sont désormais possibles. Est-ce une opportunité ? Faut-il aller plus loin ?

JCF : Le CJEC s’est toujours prononcé très clairement en faveur de l’interprofessionnalité. La SPFPL, qui permet à des professionnels libéraux de se réunir pour prendre des participations dans leur société d’exercice, est donc une opportunité à saisir. Cependant, cela ne représente, à mon sens, qu’une courte étape vers l’interprofessionnalité d’exercice ou fonctionnelle, c’est-à-dire vers celle qui permettra à deux ou plusieurs praticiens, provenant de différentes professions réglementées, de travailler ensemble dans une même structure juridique et dans les mêmes locaux. Je sais que les avocats ont ouvert le débat. Il l’est très largement chez nous depuis un long moment. Dans le respect de nos déontologies respectives, il faut très rapidement s’approprier pleinement ce chantier.

CB : Il s’agit d’un début d’opportunité, car l’objectif pour le moment n’est pas de proposer au sein d’une même structure, l’ensemble des services couverts par chacune de ces professions, mais de permettre un regroupement capitalistique. Dans le cadre de l’interprofessionnalité, il serait justement intéressant de collaborer ensemble "sous le même toit", en créant une maison du chiffre et du droit, qui regroupera experts-comptables, avocats, notaires, huissiers de justice...

Que vous inspirent les évolutions récentes en termes de communication, et notamment d’encadrement du démarchage ?

CB : Malgré les évolutions autorisant les actions de promotions aux professionnels de l’expertise comptable, notamment la liberté de vanter et de communiquer les mérites du cabinet et de ses prestations, l’action de communication reste simple et se limite à une enseigne apposée sur la façade des bureaux ou à un panneau indicateur positionné près de l’entrée. S’agissant de l’annulation de l’interdiction du démarchage et de l’encadrement de celui-ci, hormis quelques marginaux qui franchissent allègrement la ligne, les experts-comptables respectent, en général, leurs obligations de confraternité et par conséquent cet encadrement de démarchage. Le non-respect viendrait essentiellement des illégaux.

JCF : Nous devons toujours faire des efforts en termes de marketing et de communication, spécialement vis-à-vis de nos clients. Savoir communiquer, c’est l’art de se faire comprendre. Dans un monde d’hyper-communication, notamment numérique, rester en retrait serait une erreur stratégique, en faisant la part belle à nos concurrents. C’est pour cela que le CJEC organise des ateliers sur la communication.
Mais attention, la communication dans notre profession n’est pas une jungle. Nous avons un devoir de respect vis-à-vis de nos clients, qui interdit les publicités trompeuses et un devoir de confraternité, qui prohibe tout dénigrement ou les publicités comparatives.

Selon vous, que pensent les jeunes de l’évolution respective des métiers d’expert-comptable et de commissaire aux comptes ?

JCF : Les jeunes professionnels de l’expertise comptable ont pour principale préoccupation la conquête de clients et la conservation de leur portefeuille actuel ; ils sont, bien sûr, à l’écoute de l’actualité et des éventuelles modifications, qui pourraient entraîner des changements dans leur mode d’exercice. On constate malheureusement que nombreux sont ceux qui n’investissent pas le champ du commissariat aux comptes ; sans doute par manque de visibilité, notamment suite au livre vert. Ils sont découragés également par le formalisme et les contraintes induites par l’exercice du métier d’auditeur. C’est, en tout cas, une vraie question pour les jeunes avec, à l’arrivée, beaucoup d’indécision et d’attentisme.

CB : Aujourd’hui, des opportunités s’offrent régulièrement aux jeunes experts-comptables et commissaires aux comptes, et l’évolution est plutôt prometteuse à court et moyen terme. Cependant, une inquiétude commence à s’installer par rapport aux différentes directives européennes récemment adoptées, notamment en commissariat aux comptes, ainsi qu’avec la volonté du gouvernement de réformer les professions réglementées.

Charif Benadada, Président ANECS Paris Ile-de-France
Jean-Christophe Forestier, Président CJEC Paris Ile-de-France

A propos

francilien87Cet article provient du numéro 87 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France  qui comprend notamment un dossier sur le financement des PME.