Françoise Savés : "La présence des femmes change la culture de l’organisation, elle en bonifie les valeurs."

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francoise-savesNouvellement élue à la tête de l’Association des Femmes diplômées d’Expertise-Comptable (AFECA), Françoise Savés a répondu aux questions du Monde du Chiffre.

Pouvez-vous nous décrire brièvement votre parcours ?

S’il est vrai que je suis arrivée à l’expertise comptable par pur hasard, alors que j’étais tournée vers les sciences et la biologie, ce métier m’a permis de prendre en main ma vie professionnelle et d’explorer de nombreuses voies, bien au-delà de ces aspects techniques si souvent décriés. J’ai pu m’investir pleinement dans le management, l’innovation des process, la relation client… tout ce qui anime l’entrepreneuse que je suis avant tout. J’aime aller là où d’autres ne vont pas, m’attaquer à des causes complexes et penser autrement. Naturellement je me suis investie dans les instances professionnelles que je trouvais, il faut bien le dire, un peu poussiéreuses. Mon but était de faire bouger les lignes.
En 2000, j’ai été la 1ère femme élue à la présidence de l’Ordre des experts-comptables d’Aquitaine. J’ai pu pleinement exprimer ma différence. En 2006, j’ai été Rapporteur général du 61ème congrès de l’Ordre. Combien de messages négatifs n’ai-je reçus pour vouloir aborder le thème du Social et des RH ! Enfin, de 2009 à 2013, avec la présidence nationale de l’IFEC, 1er syndicat de la profession qui compte plus de 4 000 adhérents, j’ai accompagné les cabinets dans les mutations liées aux évolutions technologiques et aux changements en matière d’équilibre vie professionnelle/vie privée.

Quels sont les principaux axes que vous entendez développer au cours de votre mandat à l'AFECA ?

Je ne pars pas d’une feuille blanche, l’association a fait un travail remarquable, notamment dans le cadre de la Loi Copé-Zimmermann, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration, et à l’égalité professionnelle avec une charte de bonnes pratiques qu’ont signée plusieurs centaines de cabinets. J’entends poursuivre ces actions autour de trois enjeux majeurs :

En premier lieu, il faut renforcer l’attractivité de la profession d’experte-comptable car nombre de diplômées continue de la fuir. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 5 300 femmes sont inscrites au tableau de l’Ordre pour une population totale de près de 20 000 membres, soit seulement 26,5 %. Les diplômées d’expertise comptable sont 463 en 2016 pour un total de 1 081, soit près de 43 %. Le taux de féminisation des stagiaires de l’expertise comptable avoisine les 50 %. C’est dire à quel point, malgré un engouement pour le métier et une réussite tout à fait correcte aux examens finaux, les jeunes femmes quittent la profession indépendante. Dès lors que nous peinons à assurer le renouvellement de nos effectifs, il est indispensable d’inverser cette tendance. Les raisons sont connues : équilibre vécu comme difficile entre vie professionnelle/vie privée, difficultés d’une évolution professionnelle adaptée, négation des différences au sein d’un modèle très masculin. Nous allons donc agir au plus près du terrain par le maillage régional et par le travail en commun avec les instances représentatives des jeunes, l’ANECS et le CJEC.

En second lieu, il faut poursuivre la promotion de la présence des expertes-comptables dans la gouvernance et le management des organisations. Que ce soit en qualité d’administratrice externe indépendante ou à la tête d’un cabinet d’expertise comptable, le leadership au féminin est un atout qui vient compléter la compétence technique de l’experte-comptable. Les « Actifs » féminins sont nombreux : courage, capacité de délivrer, efficacité, efficience, intuition, motivation, organisation, pugnacité. La présence des femmes change la culture de l’organisation, elle en bonifie les valeurs. Si l’objectif de la loi Copé-Zimmermann est quasi atteint dans les très grandes entreprises, il y a encore beaucoup à faire dans les ETI et dans les cabinets.

Enfin, participer à l’engagement sociétal de la profession et à la mise en œuvre pratique de la RSE/RSO en démontrant les liens entre mixité et performance. Le concept de diversité a déplacé la logique de l’égalité des capacités entre groupes, vers une logique individuelle de reconnaissance et de valorisation des différences, profitables à l’entreprise en matière de performance. Au-delà de la notion de profit, l’entreprise contribue à la lutte contre les discriminations et les exclusions et adopte ainsi une attitude citoyenne, qu’on rattachera à l’exercice de sa responsabilité sociale et sociétale. La profession dans son ensemble a un rôle à jouer en la matière.

En cette période électorale, avez-vous un souhait à formuler s'agissant de la représentation des femmes dans les lieux de prise de décision en France ?

Oui bien sûr ! Que nos candidats s’engagent à faire voter une loi qui instaure dans les cinq ans la parfaite égalité entre les deux sexes dans toutes les instances politiques. Et qu’on s’abstienne de dire qu’il n’y a pas de volontaires ! C’est une bien mauvaise raison. Il faut faire évoluer les mentalités car les femmes contribueront à changer le monde politique comme économique. N’est-ce pas ce que tout le monde appelle de ses vœux actuellement ?

Propos recueillis par Pascale Breton