« Dans un proche avenir, plus un deal ne pourra se faire sans une analyse poussée dans le domaine de l'ESG »

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Le sujet ESG devient de plus en plus stratégique pour les organisations. Quelle est son incidence sur la valorisation des entreprises, notamment à l’orée d’une transaction (investissement, acquisition...). Guilhem Prince, Associé Colombus Consulting, répond à nos questions.

Quelle méthode d’évaluation employer pour valoriser les politiques ESG des entreprises ?

Il existe plusieurs méthodes d’évaluation des entreprises : l’évaluation de la valeur de l’actif net, la méthode dite des comparables, l’évaluation par les multiples (de CA, d’EBITDA) qui se réalise par comparaison à des entreprises de même secteur, taille, structure... et enfin la méthode des flux de trésorerie actualisés (DCF), probablement la plus à même d’intégrer la dimension ESG.

En effet, intégrer la dimension ESG à la valorisation, c’est principalement évaluer le risque de perte de valeur de l’actif en cas de non prise en compte des enjeux ESG, identifier les actions à mettre en œuvre pour couvrir ces risques, et évaluer leur coût. Ce sont ces coûts qui viendront impacter le business plan et seront reflétés in fine dans l’actualisation des flux de trésorerie.

Cela se comprend bien, mais la mise en œuvre concrète de ces évaluations est très complexe, car elle réclame une analyse poussée non seulement de la performance extra-financière de l’entreprise, mais de sa stratégie RSE et de ses plans de progrès en la matière.

Quelle incidence cette valorisation peut-elle avoir sur le prix final d’une entreprise dans le cadre d’une transaction ?

Cette valorisation doit davantage être comprise comme l’estimation d’une décote que comme un premium. Et cette décote ou ce premium seront variables en fonction du type d’investisseur et de la stratégie de l’investisseur en matière de RSE-ESG.

La performance ESG de l’entreprise peut en effet s’envisager dans l’absolu : plus elle est performante dans le domaine, moins elle est en risque et moins la couverture de ce risque sera coûteuse.

Mais cette performance ESG peut également être considérée relativement à la stratégie de l’acquéreur. Si une entreprise A a pris des engagements forts de décarbonation, et envisage d’acquérir une entreprise B qui a d’une part des émissions plus faibles et d’autre part une feuille de route de décarbonation très claire, alors l’entreprise A sera probablement disposée à faire une offre plus compétitive car l’entreprise B sera un accélérateur de sa trajectoire.

Dans quelle mesure ce travail d’évaluation spécifique est-il aujourd’hui systématique pour les deals ?

On ne peut pas dire que ce travail d’évaluation spécifique soit aujourd’hui systématique. La sensibilité à la question climatique et l’urgence perçue de la décarbonation est variable selon que l’on se place en Europe, en Asie ou aux USA par exemple.

Par ailleurs, l’importance de cette analyse est directement liée à la perspective de l’investissement ou de l’acquisition. Prenons l’exemple d’un fonds de private equity qui investit sur des cycles longs, par exemple dans le secteur de l’énergie. Les conditions de sa sortie du capital de l’entreprise en fin de cycle seront intimement liées à la trajectoire de décarbonation de l’entreprise, sans quoi la capacité du fonds à trouver un acquéreur sera fortement compromise. Sur une période aussi longue et dans un tel secteur, le risque de destruction de valeur du fait des dimensions ESG est accru, aussi son analyse est-elle critique, très répandue et très fouillée. Le sujet sera moins aigu pour un fonds de LBO investissant dans des PME du domaine du service avec un horizon de sortie à cinq ans. Le risque réputationnel lié à la qualité de vie au travail, à la politique d’inclusion ou à la diversité sera important et reflété dans le business plan, mais le risque de perte de valeur en jeu ne sera pas du même ordre.

Enfin, en l’absence de norme, la réalité recouverte par le terme de « due-diligence ESG » est très diverse. Tout le monde dit intégrer la dimension à ses analyses, mais du simple questionnaire à l’analyse des risques et de la stratégie, le chemin est immense. Il est très probable que dans un proche avenir, plus un deal ne pourra se faire sans une analyse poussée dans ce domaine.