Patrick Bordas : « L’expert-comptable devra s’assurer que le déclaratif est correctement effectué pour le prélèvement à la source »

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patrick-bordasL'entrée en vigueur du prélèvement à la source au 1er janvier 2019 soulève de nombreuses interrogations. Patrick Bordas, Vice-Président de l’Ordre des experts-comptables, apporte un éclairage bienvenu sur ce dispositif : son fonctionnement, son impact sur l’imposition des salariés et des chefs d’entreprise, la question de l’année fiscale « blanche » en 2018 et enfin, les points de vigilance à retenir pour les professionnels du chiffre. Interview…

Pouvez-vous nous présenter le fonctionnement global du prélèvement à la source ? Quels sont les revenus concernés, les taux appliqués, la procédure qui devra être suivie ?

Tout d’abord, après quelques hésitations, le gouvernement a confirmé que le prélèvement à la source serait bien mis en place au 1er janvier 2019 sur la quasi-totalité des revenus.

En ce qui concerne la procédure, l’administration fiscale a prévu deux méthodes différentes : soit la personne qui verse le revenu retient dans le même temps l’impôt pour ensuite le reverser à l’Etat, soit le contribuable perçoit son revenu comme auparavant, puis un prélèvement sera effectué sur son compte bancaire par l’administration.

Les taux de retenue applicables à chaque contribuable seront déterminés par l’administration. En janvier 2019, il sera appliqué à chacun un taux moyen d’imposition que Bercy aura calculé sur la base des revenus 2017, déclarés au printemps 2018. L’administration transmettra ensuite les taux aux personnes versant les revenus, à charge pour eux de les appliquer. Par exemple, un employeur recevra un taux pour chacun de ses employés.

Le prélèvement à la source concerne les revenus suivants : les traitements et salaires, les pensions de retraite, les allocations chômage, les indemnités journalières maladie et les indemnités de licenciement pour la partie imposable.

Qu’en est-il de l’imposition des chefs d’entreprise et des travailleurs indépendants ?

Dans ce cas, bien entendu, il n’y a pas de partie versante qui verse un revenu au chef d’entreprise. Alors, l’administration communiquera au contribuable son taux d’imposition puis elle mettra en place un prélèvement automatique sur le compte bancaire du dirigeant pour ce qui concerne les bénéfices professionnels. Une série de dispositifs sont prévus en outre pour ajuster le montant des prélèvements au fil de l’eau.

Pour la mise en place du prélèvement à la source, 2018 est considérée comme une « année blanche » au plan fiscal. Pouvez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?

C’est à la fois simple et compliqué… Aujourd’hui, nous payons l’impôt sur la base des revenus de l’année précédente mais demain, nous l’acquitterons sur la base des revenus de l’année en cours. Pour effectuer la transition vers le nouveau dispositif, il faut donc sauter une année, sinon les contribuables devront payer deux fois l’impôt.

Ce tableau montre que les contribuables paieront un impôt chaque année, mais que l’année 2018 ne sera jamais imposée, c’est « l’année blanche ».

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Ainsi concrètement, les revenus de l’année 2018 seront déclarés au printemps 2019. L’impôt pour 2018 sera alors calculé selon l’ancien système mais son montant ne sera pas exigé des contribuables. Il donnera lieu en effet à un « crédit d'impôt modernisation du recouvrement » – c’est le nom « poétique » qui a été retenu… – lequel sera égal au montant de l’impôt 2018 et viendra ainsi neutraliser le paiement de ce dernier.

Avec cette précision cependant : ce dispositif ne concerne que les revenus courants, à l’exclusion donc des revenus exceptionnels comme par exemple, les plus-values ou encore, les indemnités de départ à la retraite qui seront traitées séparément. L’administration a également mis en place un certain nombre de dispositifs anti-abus pour éviter les effets d’aubaine.

Quel sera le rôle des experts-comptables dans la mise en œuvre du prélèvement à la source ?

Les experts-comptables interviendront sur deux plans, pour les salariés des entreprises clientes des cabinets et pour les dirigeants de ces structures.

Concernant les salariés, il faut bien avoir à l’esprit que chaque mois, près de 1 600 000 entreprises envoient leur déclaration sociale dématérialisée, c’est-à-dire la DSN. Et deux tiers de ces déclarations sont réalisées par des cabinets d’expertise comptable. C’est donc l’expert-comptable qui va produire la paie, s’assurer de la cohérence d’ensemble et que le déclaratif – qui est aujourd’hui totalement dématérialisé – est correctement effectué pour que l’administration reçoive bien les virements dus au titre du prélèvement à la source. Cela concerne environ 5 millions de salariés sur les 19 millions du secteur privé.

S’agissant des chefs d’entreprise, les experts-comptables établissent très souvent leur déclaration de revenus. Ils vont continuer à le faire mais pour la mise en œuvre du prélèvement à la source, il conviendra d’examiner avec eux la meilleure stratégie à retenir sur le plan fiscal : faut-il se rémunérer immédiatement ? faut-il procéder à des ajustements notamment selon la trésorerie de l’entreprise ?... Bien entendu, cela ne concerne pas les dirigeants assimilés salariés comme par exemple, les présidents de société par actions simplifiée.

Pour finir, pensez-vous que le prélèvement à la source puisse être l’occasion pour les experts-comptables de développer de nouvelles missions ?

Oui, je le crois. Nous travaillons la question, notamment sur le volet de l’accompagnement des salariés puis des chefs d’entreprise.

Depuis plusieurs années, l’ordonnance qui régit la profession d’expert-comptable nous permet de proposer un accompagnement aux particuliers dans le domaine fiscal. Face à une fiscalité de plus en plus complexe – et le prélèvement à la source ajoute une pierre à l’édifice – certains ménages font appel à un professionnel (expert-comptable ou avocat fiscaliste…) pour les aider à ne rien omettre et à utiliser la loi comme elle est, sans chercher à la contourner, ni à frauder.

Propos recueillis par Hugues Robert

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