Lutte contre la déforestation et devoir de vigilance : vers de nouvelles obligations pour les entreprises

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Une tribune d'Olivier Buisine, consultant, Regulate, ancien Président de l'IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives).

Sous l’influence du droit européen, la compliance élargit progressivement son champ d’application vers de nouveaux domaines en lien avec l’évolution de l’attente des parties prenantes de l’entreprise (protection de l’environnement et de la biodiversité). L’Union européenne veille en particulier à ce que les biens importés issus de pays tiers respectent un standard minimal en termes de droit du travail et de droit de l’environnement.

Taxonomie verte et reporting extra-financier

Le règlement taxonomie du 18 juin 2020 impose aux entreprises de plus de 500 salariés des obligations nouvelles de transparence en matière environnementale et climatique dans le cadre de leurs déclarations extra-financières. Les dispositions du règlement entrent en vigueur progressivement (reporting allégé depuis le 1er janvier 2022 puis reporting complet à compter du 1er janvier 2024) et s’appuient sur six objectifs environnementaux : atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique, utilisation durable et protection des ressources aquatiques et marines, transition vers une économie circulaire, prévention et réduction de la pollution, protection et restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

Le projet de directive en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) prévoit par ailleurs une clarification des éléments communiqués par les entreprises dans le cadre du reporting extra-financier, une extension des entreprises concernées par ce reporting (PME cotées sur un marché réglementé de l’Union européenne à compter du 1er janvier 2026) et une analyse des données communiquées dans le cadre d’un contrôle indépendant.

La commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté le 14 juillet 2022 l’accord provisoire concernant la directive CSRD sur le reporting extra-financier (par 22 voix pour, 0 contre et 1 abstention).

En parallèle, le groupe consultatif européen sur l’information financière (EFRAG) est chargé de proposer à la Commission européenne des projets de normes comptables en matière environnementale et climatique concernant un futur standard de reporting pour les entreprises.

Lutte contre la déforestation importée

Au premier semestre 2022, près de 4 000 kilomètres carrés de forêt ont été détruits au Brésil. Un triste record. L’émergence d’une législation spécifique visant à lutter contre la déforestation au niveau européen laisse peut-être entrevoir une amélioration de la situation.

Le 17 novembre 2021, la Commission européenne a en effet proposé un nouveau règlement pour enrayer la déforestation. Ce règlement fixe les règles d’une diligence raisonnable obligatoire pour les entreprises qui souhaitent importer du soja, de l’huile de palme, du cacao, du café, du bois, du bœuf et plusieurs produits dérivés (chocolat, cuir et meubles) au sein du marché de l’UE.

La commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire du Parlement européen a adopté le 12 juillet 2022 (par 60 voix pour, 2 contre et 13 abstentions) sa position sur la proposition de la Commission relative au projet de règlement sur la déforestation. La nouvelle législation obligerait les entreprises à vérifier que les biens vendus dans l’UE n’ont pas été produits sur des terres déboisées ou dégradées, ce qui garantirait aux consommateurs que les produits qu’ils achètent ne contribuent pas à la destruction des forêts en dehors de l’UE et à la perte de biodiversité dans le monde.

Le Parlement européen souhaiterait aussi inclure la viande de porc, les ovins et les caprins, la volaille, le maïs et le caoutchouc, ainsi que le charbon de bois et les produits en papier imprimé à la liste des produits visés par le texte.

Lutte contre le travail forcé

Le 23 février 2022, la Commission européenne a en outre présenté une communication sur le travail décent dans le monde qui réaffirme l’engagement de l’UE en matière de lutte contre le travail des enfants et le travail forcé. Le 9 juin 2022, une résolution a été largement adoptée par le Parlement européen visant à interdire l’importation de produits issus du travail forcé. Cette résolution pourrait conduire la Commission à présenter au mois de septembre prochain un cadre législatif visant à permettre aux autorités de l’UE et aux Etats d’empêcher certains produits d’entrer sur le marché européen, dès lors qu’il existe des preuves suffisantes que ces marchandises ont été fabriquées ou transportées dans le cadre d’un travail forcé.

Devoir de vigilance

Responsabiliser la chaîne d’acteurs économiques concernant certains secteurs considérés comme à risques sur le plan des atteintes à l’environnement et la biodiversité (industrie textile, agriculture, extraction de minerais) constitue un enjeu récent pour les Etats et les entreprises.

La Commission européenne a également publié le 23 février 2022 une proposition de directive visant à obliger les entreprises de taille significative à veiller à ce que leurs activités respectent les droits humains et environnementaux. Le projet de directive sur le devoir de vigilance, qui pourrait être adopté d’ici fin 2023, prévoit une application aux grandes entreprises de l’UE et de pays tiers actives dans l’UE, comptant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires annuel supérieur à 150 millions d’euros au niveau mondial. Ce seuil serait abaissé, deux ans après l’entrée en vigueur du texte, aux entreprises qui emploient plus de 250 personnes et réalisent un chiffre d’affaires annuel de plus de 40 millions d’euros dans le cadre de certains secteurs à risques (industrie textile, agriculture, extractions de minerais).

La directive devrait s’appliquer aux opérations propres aux entreprises, à leurs filiales et à leurs chaînes de valeur (relations commerciales établies de manière directe et indirecte).

La France, un pays précurseur

La France, pays précurseur en matière de devoir de vigilance, s’est dotée dès 2017 d’une loi applicable aux grands groupes. Une plateforme gouvernementale recense par ailleurs les zones à risques de déforestation concernant la filière soja.

Plusieurs actions judiciaires visant des grands groupes ont été initiées sur le fondement du manquement au devoir de vigilance depuis son entrée en vigueur (Casino, Total, Groupe Rocher, etc.).

Dans le cas de Casino, plusieurs ONG reprochent au groupe alimentaire de contribuer à la déforestation en Amazonie. Le magistrat en charge de l’affaire au sein du tribunal judiciaire de Paris a proposé le 9 juin 2022 une médiation entre les différentes parties prenantes, solution innovante conduisant le juge à participer activement et concrètement à faire respecter le devoir de vigilance.

Sensibiliser les entreprises

La transposition en droit français de la future directive sur le devoir de vigilance nécessitera des travaux législatifs importants. Les réflexions devront notamment porter sur un juste équilibre entre l’obligation pour les entreprises de collecter des informations appropriées (reportings) et les sanctions qu’elles sont susceptibles d’encourir en cas de manquement constaté lors de la mise en cause de leur responsabilité sur le fondement du devoir de vigilance.

Sensibiliser les directions des achats des grands groupes et des ETI à ces problématiques émergentes sera l’un des enjeux majeurs à venir.

Limiter la déforestation est plus largement un sujet mondial qui passe par une prise de conscience individuelle et collective de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur.

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