La croissance externe, un levier du rebond économique

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La période actuelle est souvent source de difficultés pour les entreprises, mais elle peut aussi offrir des opportunités de reprise d'entreprise ou de rapprochement. Dans le cadre d'une journée d'information et d'échanges sur la transmission d'entreprise, Pascal Ferron, Vice-Président de Walter France, a répondu avec d'autres experts aux questions de Stéphane Meunier, conseiller transmission et reprise à la CCI de Paris IDF.

Le marché de la reprise est déséquilibré. Pour une entreprise à reprendre, ce sont souvent cinq ou dix candidats repreneurs voire plus qui se présentent. Côté cédants, vendre son entreprise est une décision difficile à initier, ce qui explique qu'ils ont tendance à atermoyer. Or les professionnels de la transmission ont constaté que la crise du coronavirus est dans certains cas un élément déclencheur pour les cédants qui hésitaient jusque-là à passer la main. Ce sont donc de nouvelles opportunités d'affaires qui s'ouvrent, soit pour reprendre une entreprise, soit pour s'en rapprocher.

Quelle stratégie adopter pour une croissance externe ?

Selon Pascal Ferron, il existe plusieurs excellentes raisons pour reprendre une entreprise : il est beaucoup plus rapide de reprendre une entreprise que de créer ex nihilo une activité, c'est un très bon moyen de créer des synergies en matière commerciale ou entre produits et savoir-faire complémentaires. Cela permet également de mieux répartir les risques entre différents types d'activités, plusieurs régions, différentes clientèles et de gagner en notoriété. Le plus important est que le projet de reprise corresponde à la stratégie du repreneur. Les entrepreneurs étant par nature des optimistes effrénés et enthousiastes, il est tout à fait naturel qu'en temps de crise, ils identifient davantage d'opportunités qu'en temps normal. A contrario, vouloir grossir à tout prix pour flatter son ego est une très mauvaise raison...

Pour David Tréguier, avocat chez Fidal, la croissance externe est clairement un accélérateur par rapport à la croissance organique. Elle permet de diversifier ses activités tout en réduisant les risques, de s'ouvrir à de nouveaux marchés, d'atteindre une taille suffisante pour répondre à des appels d'offre, etc.

Nicolas Hurtiger, Fondateur du groupe Zephyr, qui témoignait de son expérience lors de cette conférence, a voulu diversifier son offre pour proposer tout un écosystème à ses clients, en achetant des entreprises qui lui permettent d'acquérir des expertises et des savoir-faire complémentaires. A chaque fois, la question qui se pose est : à combien est estimé le coût de création d'une telle activité versus le rachat d'une société qui fonctionne déjà avec un modèle économique viable. Le groupe connaît un rebond d'après crise du coronavirus beaucoup plus rapide que prévu et son fondateur affirme n'avoir jamais eu autant d'opportunités de reprise.

Comment rechercher et choisir une entreprise cible ?

Le repreneur n'a pas intérêt à dessiner une cible idéale selon Pascal Ferron mais doit se focaliser sur sa stratégie de développement et sur la valeur ajoutée qu'il peut apporter, avec quelques critères clés. Ensuite, pour trouver une entreprise à reprendre, tous les moyens sont bons : marché ouvert avec les bourses d'opportunités, intermédiaires, chambres de commerce et d'industrie, etc. L'important est de se faire aider, d'être conscient que la plupart des affaires intéressantes se dénichent dans le marché « caché » par approche directe et que la cible idéale n'existe pas : une entreprise à reprendre ne répond jamais à tous les critères. Ensuite, un audit d'acquisition est évidemment indispensable, ainsi que l'intervention de conseils objectifs, a minima un expert-comptable et un avocat.

C'est ainsi que Nicolas Hurtiger, après avoir fait feu de tout bois, a affiné ses critères de recherche, notamment sur la taille des entreprises qui l'intéressaient, après s'être rendu compte que le travail d'investigation préalable était le même qu'une entreprise soit petite, moyenne ou grande.

Une possibilité est de reprendre « à la barre » une entreprise en difficulté mais dans ce cas, attention à ne pas se laisser griser par un prix très bas. Pour Nicolas Hurtiger, reprendre une structure est déjà un saut dans l'inconnu, mais à la barre, tout est encore plus incertain. Il ne faut pas sous-estimer le coût du restructuring. Pascal Ferron estime que « c'est un sport de riche, il faut avoir les reins solides et ne pas se laisser griser par un prix en apparence très bas. Il est plus facile de racheter au juste prix une entreprise qui fonctionne et de la faire tourner plus vite que de relancer une toupie arrêtée ». Et dans cette configuration, insiste Stéphane Meunier, il est indispensable de connaître le secteur d'activité de l'entreprise à reprendre, car le dirigeant n'a pas le temps de le découvrir.

Quel montage juridique et fiscal adopter ?

Il faut d'abord, indique David Treguer, se structurer : « Il est fortement déconseillé, pour une entreprise d'exploitation, de racheter en direct une autre entreprise car en cas de difficulté, celle-ci rentrerait dans la « corbeille » du mandataire. » Le montage le plus classique consiste à créer une holding, avec les filiales en râteau en-dessous, car on doit pouvoir se séparer d'une filiale sans mettre en danger les autres structures. La holding est également un moyen de regrouper le staff qui va intervenir, avec une refacturation aux filiales des prestations rendues par la holding.

Une holding présente un autre intérêt, en servant de pivot centralisant la trésorerie au niveau du groupe. Dans ce cas, la capacité d'emprunt de la holding augmente et le fait de démontrer au banquier que si la filiale rachetée connaît des moments de faiblesse, les autres structures peuvent la soutenir, permet de faire baisser le ratio des 30 % d'apport.

Pour Pascal Ferron, en matière juridique et fiscale, il n'existe pas de règle immuable. Le schéma juridique et fiscal doit s'adapter au contexte de l'acquisition et des risques identifiés : création d'une holding, rachat de parts sociales, d'un fonds de commerce, etc. Et il va sans dire qu'un entrepreneur ne doit jamais envisager une reprise d'entreprise uniquement pour les avantages fiscaux qu'elle procurerait.

Comment se finance une opération de croissance externe ?

Tous les intervenants se sont accordés pour dire que d'importants fonds sont disponibles. En revanche, Nicolas Hurtiger a souvent été confronté à des problèmes de réactivité de la part des réseaux bancaires classiques, dont les délais pour l'accord d'un prêt sont communément de deux à trois mois. Il a donc rapidement décidé de diversifier ses sources de financement, avec le crowdlending ou en levant un prêt obligataire à 5 %. Pour David Treguer, un repreneur devra toujours arbitrer entre s'endetter ou ouvrir son capital. Récemment, des plateformes de crowdlending ont vu le jour. C'est plus rapide, plus simple que le crowdfunding mais plus cher. Et attention car, dès lors qu'un repreneur a lancé un prêt participatif auprès du public, ces plateformes le mettent en garde sur le fait qu'elles n'auront aucun état d'âme, en cas de non remboursement, à l'assigner en liquidation judiciaire. En cas de difficultés, les banques « classiques » sont généralement plus souples.

Pour Pascal Ferron, il existe de nombreux moyens de financement hors du domaine bancaire, tels que le crédit vendeur, le complément de prix, le cédant qui remet du capital dans la structure de rachat, le love money... Il s'agit d'utiliser toutes ces possibilités comme une table de mixage afin d'optimiser le financement et réduire les risques.

Comment éviter de faire la mauvaise acquisition ?

« On ne perd jamais, on apprend » martèle Nicolas Hurtiger. Trois règles d'or s'imposent pour éviter de graves erreurs : prendre le temps d'approfondir l'audit d'acquisition ; se garder du temps long car rien ne doit être urgent et donc, attention aux loups si l'autre partie veut trop accélérer le processus ; et s'entourer de conseils objectifs qui pourront, si nécessaire, relativiser l'enthousiasme des repreneurs risquant de succomber aux leurres éventuels d'un coup de cœur. Et comme plus un dossier avance, plus on a envie d'aller au bout, David Treguer recommande, surtout si le feu est à l'orange, d'écouter les professionnels qui ont un regard éclairé.

L'intégration de la société reprise : clé de la réussite ?

Les fameux cent premiers jours après la reprise sont vitaux. Pascal Ferron recommande d'arriver le premier jour sans préjugé, de mettre le business plan de côté et d'écouter les hommes et les femmes de l'entreprise, de comprendre ce qu'ils font, de quelle manière, pour les faire évoluer. « Toutes les bonnes surprises, le vendeur vous les a annoncées lors de la négociation. Très logiquement, lorsque vous prenez la tête de l'entreprise, il ne reste plus que les mauvaises ! » Alors autant s'y préparer.

Cette gestion de l'humain doit être une priorité pour Nicolas Hurtiger, afin de créer une relation de confiance avec les équipes. Et mieux vaut ne pas traîner car les changements qui ne sont pas initiés tout de suite sont beaucoup plus difficiles à faire deux ans après. Faire converger les process prend du temps, notamment en matière sociale. Sur le tableur Excel, c'est évident ; sur le terrain, faire accepter les changements pour supprimer les divergences en matière de jours de repos, de rémunération d'astreinte, de paiement d'heures supplémentaires... est une autre affaire !

Concernant les modalités d'accompagnement du cédant, elles doivent être étudiées très en amont. Et d'une manière générale, une lettre d'intention la plus précise possible permettra d'éviter les négociations de dernière minute lors du closing.

Reprendre une entreprise exige un engagement total et un grand professionnalisme. Les primo-repreneurs doivent impérativement se former préalablement à leurs recherches et les entrepreneurs établis voulant se développer par croissance externe doivent, crise ou pas crise, avoir une stratégie claire et respecter un processus le plus sécurisant possible afin de minimiser les risques.