Ordonnance statutaire Modifications apportées

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Florence Hauducæur et Sandra PereiraNotre ordonnance statutaire a été modifiée il y a maintenant quelques semaines (1). Simple évolution ou véritable révolution ? Tentons de remettre ces modifications dans leur contexte.

Le concept d’activité d’expertise comptable exercée par un professionnel indépendant et bénéficiant d’une prérogative d’exercice n’est pas répandu dans toute l’Union européenne (UE), loin s’en faut. La France fait plutôt figure d’exception en réglementant le titre d’expert- comptable, le capital des structures d’exercice professionnel et certains services, prérogative d’exercice des professionnels.
Contrairement à la profession d’auditeur, l’UE n’a pas choisi d’imposer une règlementation unifiée à la profession d’expertise comptable.
En pratique, une certaine harmonisation découle toutefois de l’inclusion des services comptables dans la directive dite services (2).
Notre ordonnance statutaire devait évoluer pour s’adapter à la législation européenne et notamment à la directive services. L’article 55 du traité de fonctionnement de l’Union européenne, parfois méconnu, dispose que "les États membres accordent le traitement national en ce qui concerne la participation financière des ressortissants des autres États membres au capital des sociétés".
Dans ce contexte, la nouvelle rédaction de l’ordonnance vise à faciliter les créations et les prises de participations dans le capital des sociétés d’expertise comptable et à sécuriser les conditions d’exercice de la profession.
Les principales modifications apportées à l’ordonnance de 1945 concernent les sociétés d’expertise comptable (I). L’objet social des sociétés de participations d’expertise comptable a été étendu (II). Des succursales d’expertise comptable ont été créées (III). Les conditions d’inscription des résidents hors UE/EEE ont été assouplies (IV).

I-Les sociétés d’expertise comptable

Le changement le plus notable apporté à l’ordonnance est relatif aux sociétés d’expertise comptable et plus particulièrement à la détention du capital social et des droits de vote par des membres de l’Ordre, ainsi qu’aux règles de gouvernance.

Ouverture du capital social, mais restriction des droits de vote

Avant la modification de l’ordonnance, les experts-comptables devaient détenir directement ou indirectement par une société inscrite à l’Ordre, plus de la moitié du capital social et plus des deux tiers des droits de vote.
Rappelons que cette détention minimale de capital par des professionnels n’avait pas cours dans les sociétés de commissariat aux comptes, non inscrites à l’Ordre.
Désormais, les personnes physiques ou morales exerçant légalement la profession d’expertise comptable dans un État membre de l’UE ou dans un État appartenant à l’Espace économique européen (EEE) – soit l’Islande, la Norvège, le Liechtenstein – peuvent créer une société d’expertise comptable en France, sans condition de détention de capital.
Les sociétés membres de l’Ordre doivent toujours communiquer annuellement aux conseils de l’Ordre la liste de leurs associés, ainsi que toute modification apportée à cette liste.
Les sociétés d’expertise comptable étrangères créant une société d’expertise comptable en France doivent avoir été constituées en conformité avec la législation de l’un des États UE/EEE. Elles doivent avoir leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement dans l’un de ces États. La vérification de ces conditions peut, en pratique, se révéler délicate car de nombreux pays européens ne règlementent pas ou peu la profession d’expertise comptable. Nul doute que cela constituera un enjeu au cours de ces prochaines années pour le contrôle au sein de la profession.
Néanmoins, plus de deux tiers des droits de vote des sociétés d’exercice doivent être détenus, directement ou indirectement, par les personnes physiques ou morales exerçant légalement la profession d’expertise comptable dans un État de l’UE/EEE.
Nous avons inscrit au tableau de notre région dès le mois de mai 2014, les premières sociétés d’expertise comptable détenues par des professionnels exerçant à l’étranger.

Gouvernance

Avant la modification récente de l’ordonnance, les gérants, le président de la SAS, le président du conseil d’administration ou les membres du directoire devaient être experts-comptables, membres de la société.
Les directeurs généraux n’étaient donc pas visés par cette condition.
Dorénavant, les représentants légaux des sociétés d’expertise comptable devront être des personnes physiques exerçant légalement la profession d’expertise comptable dans un État membre de l’UE/EEE, membres de la société (exemple : le président de la SAS, les directeurs généraux, les gérants…).
Ainsi, contrairement aux sociétés de droit commun, les SAS d’expertise comptable ne peuvent avoir de dirigeant personne morale.
Attention : les sociétés d’expertise comptable ayant pour directeur général une personne qui n’est  pas expert-comptable devront rapidement régulariser leur situation vis-à-vis de l’Ordre.
Les particularités concernant les sociétés civiles ont été supprimées.
Elles peuvent désormais opter pour une raison sociale autre que le seul nom des associés et utiliser l’appellation "société d’expertise comptable".

II-Les sociétés de participations d’expertise comptable (SPEC)

L'objet social des SPEC a été étendu. Alors qu’auparavant les SPEC avaient pour objet exclusif la détention de titres de sociétés d’expertise comptable, elles peuvent désormais avoir pour objet principal la détention de titres des sociétés d’expertise comptable, ainsi que la participation à tout groupement de droit étranger ayant pour objet l’exercice de la profession d’expert-comptable.
Nos cabinets peuvent donc investir, via une SPEC, dans des cabinets de l’UE/EEE, pour peu que la règlementation du pays d’investissement ait été mise en conformité avec la directive services.
Les SPEC peuvent maintenant avoir des activités accessoires en relation directe avec leur objet et destinées exclusivement aux sociétés ou aux groupements dont elles détiennent des participations, à titre d’exemple des activités de formation, des services informatiques, etc.
Les SPEC doivent remplir les conditions d’inscription prévues pour les sociétés d’exercice et notamment avoir un dirigeant personne physique.

III-Créations de succursales

La modification de l’ordonnance autorise pour la première fois l’exercice, en France, de la profession sous forme de "succursales d’expertise comptable". Ces succursales doivent être créées par des ressortissants de l’UE/EEE, exerçant légalement la profession d’expertise comptable.
Les succursales ne sont pas membres de l’Ordre, mais sont inscrites au tableau et soumises aux mêmes conditions d’exercice que les professionnels.
Les succursales encourent les mêmes sanctions disciplinaires que les membres de l’Ordre.
Leurs travaux sont placés sous la responsabilité d’un expert-comptable exerçant au sein de la succursale. Par ailleurs, ces succursales sont également tenues de justifier d’un contrat d’assurance pour garantir la responsabilité encourue, en raison de l’ensemble des travaux et activités exercés.
Les cabinets de l’UE/EEE auront ainsi plusieurs modalités d’exercice possibles en France :
-création d’une filiale française sous la forme d’une société d’exercice,
-création d’une succursale française du cabinet UE/EEE,
-exercice temporaire et occasionnel de la profession, après déclaration auprès du Conseil supérieur.

IV-Les personnes physiques

Dès lors qu'il est titulaire du diplôme d’expertise-comptable français, un ressortissant qui n’est pas membre d’un État de l’UE/EEE, pourra désormais demander son inscription au tableau dans les conditions de droit commun. Ce bien entendu, dans la mesure où il remplit les autres conditions prévues à l’article 3 de l’ordonnance : présenter des garanties de moralité, jouir de ses droits civils, etc.
Si l’apport majeur de cette modification de l’ordonnance concerne l’ouverture du capital des sociétés d’expertise comptable, le législateur a souhaité préserver l’indépendance des professionnels. L’ordonnance dispose en son article 7 qu’"aucune personne ou groupement d’intérêts extérieurs aux personnes […] ne détient, directement ou par une personne interposée, une partie des droits de vote de nature à mettre en péril l’exercice de la profession, l’indépendance des experts-comptables ou le respect par ces derniers des règles inhérentes à leur statut et à leur déontologie".
Cette évolution de notre réglementation n’est probablement pas la dernière. Au cours de l’année prochaine, le décret du 30 mars 2012, relatif à l’exercice de l’activité d’expertise comptable, devra être "toiletté" pour mise en conformité avec les nouvelles dispositions de l’ordonnance. À suivre donc…

 

Florence Hauducæur, Présidente de la commission du Tableau du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables, Paris Île-de-France
Sandra Pereira, Responsable du pôle Déontologie et Missions ordinales

(1) Ordonnance du 30 avril 2014 modifiant l’ordonnance du 19 septembre 1945, portant institution de l’Ordre, publiée au journal officiel le 2 mai 2014.
(2) Directive 2006/123 /CE relative aux services dans le marché intérieur.

A propos

francilien86Cet article provient du numéro 86 du Francilien, la revue des experts-comptables région Paris Ile-de-France  qui comprend notamment un dossier sur la médecine générale.

 






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