Cession de valeurs mobilières, moins-value, abattement pour durée de détention

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lortat-jaco-moulinsAlfred Lortat-Jacob et Gauthier Moulins, respectivement avocat associé et juriste au bureau de Paris du cabinet Cornet Vincent Segurel, apportent un éclairage sur une décision du Conseil d'Etat annulant pour excès de pouvoir les commentaires administratifs qui prévoyaient que les abattements pour durée de détention applicables aux plus-values sur valeurs mobilières devaient également s'appliquer aux moins-values sur valeurs mobilières.

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Depuis 2013, les plus-values sur valeurs mobilières sont assujetties au barème progressif de l'impôt sur le revenu, ainsi qu'aux prélèvements sociaux et, le cas échéant, à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus.

Dans l'optique de stabiliser l'actionnariat des entreprises, le législateur a prévu (article 150-0 D du Code général des impôts) pour l'impôt sur le revenu que, dans le cadre d'une plus-value imposable, celle-ci est réduite d'un abattement pour durée de détention. Cet abattement est de 50% en cas de durée de détention comprise entre deux et huit ans, et de 65% au-delà de huit ans. Par dérogation au régime de droit commun, notamment pour les dirigeants de PME prenant leur retraite, certaines plus-values de cession ou de rachat de titres sont réduites d'un abattement proportionnel renforcé.

Or, par deux paragraphes d'une instruction publiée au bulletin officiel des impôts le 20 mars 2015, l'administration fiscale a décidé que les abattements pour durée de détention devaient s'appliquer également aux moins-values venant en déduction des plus-values (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40 n°80 et BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10 n°10).

Ainsi, et à titre illustratif, si un contribuable cédait des actions qu'il détenait d'une société depuis moins de deux ans et réalisait à cette occasion une plus-value de 10 000 €, et, que dans le même temps il cédait des actions d'une autre société qu'il détenait depuis six ans et réalisait lors de cette opération une moins-value de 10 000 €, il ne réalisait aucun gain économique.

Cependant, fiscalement le traitement n'était pas le même et celui-ci devait déclarer 5 000 € de plus-value imposable. En effet,  la plus-value de 10 000 € n'était diminuée que de 5 000 €, soit le retraitement de la moins-value (10 000 €) après abattement de 50%.

Cette position de l'administration a fait l'objet de nombreuses critiques tant de la doctrine que des contribuables. Celle-ci allait à l'encontre même de l'esprit de la loi en ne favorisant pas une détention longue des titres par le contribuable dans la mesure où celui-ci était incité à liquider au plus vite ses titres en moins-values pour ne pas être pénalisé par les abattements sur les moins-values.

A cet égard, le Conseil d'Etat dans sa décision du 12 novembre 2015 a considéré que les commentaires administratifs contestés « ne se bornent pas à expliciter la loi mais y ajoutent des dispositions nouvelles qu'aucun texte ne les autorisait à édicter ».

Nouvelle définition du gain net et de la manière d'appliquer les abattements

En conséquence, la juridiction administrative a annulé l'interprétation de l'administration et apporté une nouvelle définition du gain net et de la manière d'appliquer les abattements.

Selon Le Conseil d'Etat, « les gains nets imposables sont calculés après imputation par le contribuable sur les différentes plus-values qu'il a réalisées, avant tout abattement, des moins-values de même nature qu'il a subies au cours de la même années ou reportées (…), pour le montant et sur les plus-values de son choix, et que l'abattement pour durée de détention s'applique au solde ainsi obtenu, en fonction de la durée de détention des titres dont la cession a fait apparaître les plus-values subsistant après imputation des moins-values ».

Désormais, si un contribuable cédait des actions qu'il détenait d'une société depuis moins de deux ans et réalisait à cette occasion une plus-value de 10 000 €, et, que dans le même temps il cédait des actions d'une autre société qu'il détenait depuis six ans et réalisait lors de cette opération une moins-value de 10 000 €, il n'aurait pas de plus-value à déclarer.

En effet, le montant de la plus-value étant égale au montant de la moins-value, le gain net imposable serait de 0 €.

Cette décision est une bonne nouvelle pour les contribuables qui pourront bénéficier du plein usage de leurs moins-values. En effet, les contribuables ayant réalisé au titre des années 2013 et/ou 2014 des moins-values diminuées de l'abattement pourront déposer une déclaration rectificative.

Ce nouveau mode d'imputation permettra, également, aux contribuables concernés d'obtenir la restitution des prélèvements sociaux payés ainsi que, le cas échéant, la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qu'ils auraient éventuellement acquittés.

A ce titre, le délai dont dispose les contribuables pour déposer une réclamation expire le 31 décembre de la seconde année suivant la mise en recouvrement du rôle pour l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, soit jusqu'au 31 décembre 2016 pour les revenus de 2013 mis en recouvrement en 2014.

A ce jour, cette décision du Conseil d'Etat n'a pas fait l'objet d'une répercussion dans la doctrine fiscale où les deux paragraphes annulés sont toujours présent.

La Commission des Finances de l'Assemblée Nationale avait adopté un amendement au Projet de Loi de Finances Rectificative 2015 visant à supprimer l'application de l'abattement pour durée de détention aux moins-values mobilières.

Cependant, cet amendement a été retiré le 1er décembre 2015 pour des motifs pour le moins obscurs. Le Gouvernement défend la position selon laquelle il y aurait lieu de fusionner les moins-values et les plus-values indépendamment de la durée de détention, d'effectuer la soustraction et ensuite d'appliquer au résultat la durée détention de la plus-value. Dès lors, un abattement s'appliquerait sur les moins-values.
Cette position nous apparaît d'une part simpliste et d'autre part en contradiction même avec le mécanisme du régime des abattements pour durée de détention. C'est donc surtout pour des raisons budgétaires (coût estimé à 400 millions d'euros) que l'amendement a été retiré au dernier moment.

Par Alfred LORTAT-JACOB, Avocat Associé, et Gauthier MOULINS, Juriste, Cabinet Cornet Vincent Segurel (Bureau de Paris)

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