Séverine Martel : "Les entreprises joueront-elles le jeu du droit à la déconnexion ?"

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severine martelSéverine Martel, Associée du cabinet Reed Smith, revient sur les principales dispositions et conséquences de l’article 25 de la loi Travail qui crée un "droit à la déconnexion".

reed smith

Afin d’assurer le respect des temps de repos et de congés ainsi que la vie personnelle et familiale, l’article 25 de la loi Travail crée un "droit à la déconnexion", applicable à compter du 1er janvier 2017. Les entreprises de plus de 50 salariés devront désormais inclure les modalités d’exercice de ce nouveau droit lors de leur négociation annuelle. Le Monde du Chiffre a interrogé Séverine Martel, Associée du cabinet Reed Smith, sur les principales dispositions et conséquences de cet article.

Vous dites que le législateur ne donne pas de lignes directrices sur ce qu’est le droit à la déconnexion. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la mise en place effective de ce droit et sur d’éventuels recours ? La jurisprudence a-t-elle déjà évoqué cette question, qui pourrait être un point d’appui ?

Le législateur laisse effectivement aux partenaires sociaux le soin de déterminer quels sont les mécanismes les plus adaptés, au sein de leurs sociétés, afin de rendre effectif le droit à la déconnexion. Dès lors qu’aucune ligne directrice n’est donnée par le législateur, des dispositifs totalement différents et plus au moins contraignants peuvent être envisagés. La fermeture totale des serveurs passée une certaine heure, un message automatique invitant l’émetteur de l’email à adresser son email à un autre interlocuteur, l’organisation de formations destinées à sensibiliser les salariés à un usage raisonnable et modéré des outils de communication à distance. Nous n’avons malheureusement pas assez de recul afin d’apprécier quelle serait la position des juridictions sur les modalités de mise en œuvre du droit à la déconnexion.

Si aucune sanction spécifique n’a été prévue en cas d’absence de discussions ou de charte sur le sujet, comment rendre ce nouveau droit efficace ? Quel est l’impact de ce droit sur d’autres thèmes : obligation de sécurité, durée du travail (heures supplémentaires, repos obligatoires) ?

Aucune sanction spécifique n’est effectivement attachée à l’absence de négociations ou mise en place d’une charte portant sur le droit à la déconnexion lequel a été créé afin d’assurer l’effectivité des repos journalier et hebdomadaire obligatoires. L’absence d’accord collectif ou de charte à ce sujet est cependant de nature à engager la responsabilité de la société sur le terrain des heures supplémentaires (dont la réalisation serait plus aisée à démontrer) ou des risques psychosociaux. Rappelons que la Cour de cassation a déjà jugé que l’envoi tardif d’emails à un salarié de nature à générer pour lui le sentiment de devoir y répondre immédiatement est constitutif d’un risque psychosocial exposant la société au paiement de dommages et intérêts. Il n’existe pas de moyen légal pour rendre ce droit plus efficace. Reste à savoir si les entreprises joueront ou non le jeu du droit à la déconnexion ou si le législateur devra revoir sa copie afin d’y associer des mesures plus contraignantes.

Propos recueillis par Delphine Fenasse

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