Déficit commercial français : l’intelligence économique à la rescousse des entreprises françaises

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Une tribune de William Gerlach, Directeur France chez iBanFirst.

L’économie française va mieux. Le rattrapage post-Covid est le plus rapide des grands pays européens. Elle a créé 650 000 emplois l’an dernier. Il y a 300 000 emplois supplémentaires dans le secteur privé qu’avant la crise Covid par exemple. Mais il y a encore des points de fragilité. Le plus évident est le déficit commercial. Il a bondi à 84,7 milliards d’euros l’an dernier – soit un point haut depuis cinquante ans. Le recul des parts de marché de la France à l’international concerne quasiment tous les produits, à l’exception des boissons, des cuirs et peaux (grâce au luxe). Le problème, c’est que cela ne représente que 4 % de nos exportations. Les raisons du déclin français sont bien connues : un rapport qualité-prix moyen (nous fabriquons une qualité à l’espagnole avec la prétention de vendre au niveau des prix allemands), un coût du travail qui peut être un facteur aggravant dans certains secteurs, des grandes entreprises qui continuent de délocaliser à l’étranger et des freins psychologiques bien ancrés qui empêchent les PME françaises de tenter l’aventure internationale.

Le modèle japonais

Au cours des dernières années, de nombreuses mesures ont été prises pour tenter de résorber le déficit commercial. La baisse des impôts de production de 20 milliards d’euros a été un signal politique important mais avec des effets concrets limités. L’accompagnement a été renforcé aussi. Un dispositif centré autour de Team France Export, créé en 2018, et mobilisant les PME, les chambres de commerces, les régions, Business France et Bpifrance, a été déployé. L’objectif était de créer un guichet unique pour aider les entreprises. Les premiers résultats sont positifs. Mais c’est insuffisant pour rattraper notre retard.

Il faut aller plus loin. A l’occasion du remaniement de 1984, Edith Cresson, jusqu’alors ministre du commerce extérieur, s’était vu confier également la tutelle du ministère de l’industrie, rebaptisé redéploiement industriel. A l’époque, on avait évoqué la création d’un MITI à la française, en référence à l’administration japonaise qui a permis les succès à l’exportation de l’industrie nippone à partir de 1949. L’expérience française fut courte et mitigée.

Le MITI, désormais appelé METI (pour Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie), a été pendant des décennies un élément central du système économique japonais. Il a conduit la politique industrielle de l’archipel, en parfait accord avec le patronat, permettant d’abord aux grandes entreprises mais aussi aux PME de réussir leur développement à l’international. Le METI a su s’adapter. Il était au centre de toutes les décisions lorsque l’économie était dirigiste. Son rôle est tout aussi important de nos jours, mais plus discret. Il s’est recentré sur l’accompagnement logistique et financier aux PME et surtout l’intelligence économique afin de conquérir de nouveaux marchés. C’est le rôle dévolu du JETRO, l’organisation japonaise du commerce extérieur qui est adossée au METI. Cela va plus loin que la veille concurrentielle que font toutes les entreprises. Le champ d’application est vaste. Cela implique de coordonner des actions de lobbying auprès des décideurs dans les marchés cibles pour influer sur la réglementation, d’anticiper l’émergence de nouveaux concurrents et de protéger la propriété intellectuelle de l’entreprise, par exemple. C’est justement une des lacunes du dispositif français actuel.

L’intelligence économique est indispensable

En France, il existe suffisamment de mécanismes financiers pour aider les PME à s’internationaliser et leur faire passer le cap difficile des deux ou trois ans pendant lesquelles elles vont dépenser beaucoup d’argent avant d’avoir un retour sur investissement suffisant. Il n’y a pas de solution clef en main pour surmonter la barrière socio-culturelle (aversion au risque, maîtrise limitée de l’anglais...) en revanche. Cela prendra du temps. Il faudra probablement attendre qu’une nouvelle génération d’entrepreneurs arrive. On commence à le voir dans le secteur des startups. Aider les entreprises à s’internationaliser implique aussi de les accompagner dans leurs démarches d’intelligence économique. Ce n’est pas un sujet nouveau. Le rapport Martre de 1994 offrait un premier cadre de réflexion.

Malheureusement, l’intelligence économique a toujours eu du mal à trouver sa place dans la pensée économique et industrielle française. Le Japon, que nous avons évoqué, mais aussi plus près de nous l’Allemagne et la Suède ont développé depuis longtemps des systèmes d’intelligence économique qui leur ont permis d’accroître leurs parts de marché à l’étranger et de préserver leurs emplois sur le marché national. A marche forcée, les grandes entreprises françaises ont été sensibilisées à cette thématique (souvent parce qu’elles ont été victimes d’intelligence économique de la part de puissances étrangères). En revanche, nos PME et nos startups innovantes ne se sentent pas concernées et, quand elles le sont, elles n’ont pas les moyens financiers et techniques pour agir. C’est à l’Etat de pallier cette défaillance. C’est une nécessité à l’ère de l’économie numérique où tout va plus vite et où l’accès aux données et à l’information est source de pouvoir et de richesse. Si nous continuons de négliger ce levier, ne soyons pas surpris de voir nos parts de marché continuer à décroître.

William Gerlach, Directeur France chez iBanFirst