Marchés publics : attention au devoir de vigilance des sociétés mères !

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Une tribune d'Olivier Buisine, administrateur judiciaire, ancien Président de l'IFPPC (Institut français des praticiens des procédures collectives).

La France est un pays précurseur en matière de devoir de vigilance des sociétés mères. Alors qu’un projet de directive élaboré par la Commission européenne envisage d’élargir largement le spectre des entreprises soumises au devoir de vigilance, un décret publié mardi 3 mai 2022 au Journal officiel permet désormais aux acheteurs publics d’exclure de la procédure de passation des marchés publics les entreprises qui ne respectent pas le devoir de vigilance. Décryptage des différents enjeux.

Essor du devoir de vigilance

Responsabiliser la chaîne d’acteurs concernant certains secteurs considérés comme à risques sur le plan des atteintes à l’environnement et du respect des droits de l’Homme constitue un enjeu récent pour les Etats et les entreprises.

Depuis une dizaine d’années, les organisations internationales, les pouvoirs publics et les grands groupes commencent à s’intéresser à la nécessité de respecter certaines normes minimales en matière de droit du travail et de préservation de l’environnement dans le cadre de leurs approvisionnements.

Cette prise de conscience internationale résulte notamment de l’accident survenu lors de l’effondrement d’un bâtiment d’une usine textile au Bangladesh le 24 avril 2013 ayant conduit au décès de plus de 1 100 personnes (accident du Rana Plaza).

La loi du 27 mars 2017 constitue le pilier en droit français du devoir de vigilance. Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, doit établir et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, qui est rendu public.

Verdissement de la commande publique

La loi n° 2021-1031 du 4 août 2021 de lutte contre les inégalités mondiales précise par ailleurs que la France, pays précurseur en matière de devoir de vigilance, prend en compte l’exigence de la responsabilité sociétale des acteurs publics et privés et promeut celle-ci auprès de ses pays partenaires.

Le décret n° 2022-641 du 25 avril 2022 précise par ailleurs les modalités de prise en considération du risque de déforestation importée dans le cadre des achats de l’Etat.

Les articles L. 2141-1 et suivants du code de la commande publique détaillent les cas d’exclusion d’une procédure de passation d’un marché (liquidation judiciaire, manquement aux obligations de paiements des cotisations sociales, etc.).

Dans l’objectif d’un verdissement de la commande publique, l’article 35 de la loi Climat du 22 août 2021 prévoit la possibilité d’exclure de la procédure des marchés publics les entreprises qui n’établissent pas de plan de vigilance malgré leurs obligations. L’acheteur public peut en effet exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes soumises au devoir de vigilance, qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance, pour l’année qui précède l’année de publication de l’avis d’appel à la concurrence ou d’engagement de la consultation. Une disposition similaire existe également pour les contrats de concession.

L’article 13 du décret n° 2022-767 du 2 mai 2022 fixe l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions au lendemain de la parution au Journal officiel, soit le 4 mai 2022.

Former les acheteurs publics, les organes de gouvernance et les directions des entreprises

Les grands groupes devront certainement démontrer à l’avenir dans le cadre de la procédure de passation du marché que le plan de vigilance a bien été établi annuellement par l’entreprise candidate et qu’aucune action en justice n’a été initiée notamment par une association de protection de l’environnement.

En parallèle, les acheteurs publics devront aussi intégrer cette réglementation nouvelle et collecter des informations spécifiques dans le cadre de l’appel d’offres.

Sensibiliser davantage les directions et les organes de gouvernance des ETI ainsi que les acheteurs publics à ces problématiques émergentes sera l’un des enjeux à venir.

Olivier Buisine, administrateur judiciaire, ancien Président de l'IFPPC